L’ AUTRE TERRE

Derrière la terre-qui-existe se tient une autre terre, rescapée de la laisse des bourrasques, où séjourne en silence, et sans histoire, un peuple d’images et de figures que l’orpailleur rend au jour.

Inlassable arpenteur de la forêt, Jephan de Villiers ne cesse d’y flairer, scruter, fouiller, creuser parfois, tâter de l’œil et de la main pour débusquer quelques pépites naturelles propices à son travail : brisures de bois-mort, écorces et plumes, mousserons desséchés, reliquats de bogues et d’écales tombés de la mer des ramées ou cachés dans les taillis, fragments de racines épars sur des sols d’ordinaire bousculés par les jeux des bêtes et le piétinement des hommes.

A l’issue de la collecte, il assemble ses trouvailles selon leurs sympathies secrètes, faisant surgir de ses mains toute une communauté d’êtres inouïs, insoupçonnés par la vision commune, et les installe dans des sites spécifiques composés d’un même geste et élaborés souvent à partir des mêmes matériaux : boites et portiques végétaux, troncs creusés, barques et chariots vagabonds, supports de toutes natures offrant soutien et appui aux différents modèles.

Des feuillets d’écritures se propagent en écho, proliférant çà et là en rhizomes graphiques, comme des traces de collemboles pressés qui passent, comme des courants de brise éphémères qui chuchotent, inondant les cohortes de bois-corps d’une langue impénétrable d’avant tout langage.

Vue du plus lointain recul, voici une œuvre d’une profusion vertigineuse et d’une magnifique liberté de motifs : les lignages de sculptures générés par l’atelier se déclinent en quantité considérable. Et au plus près qu’on puisse les approcher, c’est un enchantement de tendresse qui émane du contact intime avec leur matérialité fragile, où l’on sent revivre le bonheur du toucher qui, entre autres, les a façonnés.

Emmanuel Driant